
Cela faisait un moment que je souhaitais faire de l’urbex. Mon ami Louis, habitué de la pratique, me parlait régulièrement de ses découvertes et je rêvais de capturer ces atmosphères mystérieuses. Jusqu’à ce dimanche d’automne, où je reçus ce mystérieux message : « Ça te dis de voir un château abandonné ? ».
Nous ne Sommes pas Seuls…
En début d’après-midi, je retrouve Louis devant le pas de sa porte. Avec Emilie, une amie, nous prenons la route en direction de la côte. Après avoir laissé la voiture devant une chapelle, nous empruntons chemins et sentiers pendant une trentaine de minutes. Louis ouvre la marche, il connaît les lieux. En nous rapprochant de l’objectif, nous coupons à travers la forêt. Même si nos intentions ne sont pas mauvaises, il vaut mieux rester discret. Les uns après les autres, nous sautons un muret recouvert de mousse. Tout près, nous avançons lentement, sans un bruit derrière les herbes folles. Presque immobile, Louis passe la tête pour voir si la voie est libre. Au loin il aperçoit deux personnes dressées, devant la bâtisse. On ne bouge plus. Louis nous murmure : « Ils m’ont vu ».
Est-ce là la fin de l’aventure ? Il n’y a aucun mouvement dans notre direction. Louis tente sa chance et sort des fourrées et s’avance vers les deux individus qui ont l’air plus intéressés par le château que par notre présence. Nous lui emboîtons le pas et approchons de la bâtisse qui semble surgir de la végétation, sublimée par les couleurs d’automne. Nous passons sous un porche et arrivons dans le parc donnant sur la rivière. Une tour à l’extrémité fait face à des séquoias. L’ancienne demeure en tire une de ses nombreuses appellations : le Château Séquoia, aussi connue sous les noms du Château Pierre Chanal ou de Louis de Gonzague. Les deux quinquagénaires sont aussi là et prennent des photos. C’est en réalité un couple d’urbexeurs venu d’assez loin pour voir le château. Nos deux groupes se séparent pour découvrir les lieux.






Nous avançons à pas de velours, stupéfaits par le spectacle. Certaines pièces sont vides, d’autres contiennent encore quelques meubles. L’ensemble est assez délabré. L’intérieur est assez sombre. Heureusement j’ai pensé à prendre mon trépied pour compenser le manque de lumière. J’alterne entre prises numérique, au Polaroid et avec mon appareil photo argentique. Le temps passe et le jour tombe sans que l’on s’en rende compte. Les lieux semblent fantomatiques, comme figés dans une autre époque.






Les Dégâts du Temps
Malheureusement le temps a fait son travail. L’eau s’est infiltrée et certains planchers se sont effondrés. Je reste charmé par la patine et les motifs des tapisseries. Quelques curieux objets subsistent, comme une bouteille de Champagne qui trône sur une des cheminées. Une fois la visite terminée, nous quittons les lieux, encore envoûtés par la beauté de ce château endormi.











Une Pratique Exigeante
En ce qui concerne l’exploration urbaine, Louis n’en est pas à son premier coup d’essai : des usines désaffectées en Allemagne, dans le Nord de la France ou les Catacombes de Paris, c’est pour lui une véritable passion !
Pour toi, c’est quoi l’urbex ?
Chacun a un peu sa définition de l’urbex. Pour moi, l’exploration urbaine, c’est aller dans des lieux partiellement ou entièrement abandonnés, visiter et voir des choses que l’on n’est pas sensé voir. C’est un sentiment que j’aime bien de se dire qu’on est dans un endroit où normalement on n’est pas sensé être.
Comment se visite un lieu ?
L’urbex se fait en trois étapes : la recherche, le repérage et l’exploration. En réalité, l’exploration reste la finalité. C’est la partie visible de l’iceberg. Avant, il y a toujours une longue phase de recherche. Beaucoup de sites et de vidéos parlent d’urbex. C’est fait de telle sorte que parfois, tu puisses trouver un indice, mais jamais directement l’adresse. L’urbex c’est avant tout une enquête. Beaucoup de ces lieux sont connus par des pseudonymes. Cela limite leur fréquentation et que le spot soit susceptible d’être abîmé. La recherche contribue donc aux plaisirs de l’urbex. C’est d’autant plus excitant une fois qu’on a trouvé.
Lorsque je fais le repérage des lieux, je regarde si c’est vraiment abandonné ou pas. Toutes les infos sont bonnes à prendre. Quand je reviens, je dois avoir un parcours en tête. Savoir par où rentrer et où sortir. Evidemment on y voit beaucoup plus une fois qu’on est à l’intérieur.
Une fois sur place, il faut savoir s’infiltrer rapidement, sans se faire voir et disparaître à l’intérieur. L’urbex reste une pratique illégale. Il faut quand même ne pas éveiller les soupçons. Ma façon de faire, c’est agir comme un ninja et être le plus discret possible. Personne ne sait que je suis venu. Personne ne m’entend une fois que j’y suis. Je disparais de la même façon.
Quelles sont les règles de l’urbex ?
Chacun a ses propres règles. Pour moi comme pour la plupart des urbexeurs, il ne faut pas dégrader, voler ou bouger quoi que ce soit. Pour éviter que cela arrive, il ne faut pas révéler l’adresse. Généralement, les personnes prêtes à faire de grandes recherches, le font par passion. Il faut être respectueux du lieu. Pour ma part je me débrouille toujours pour ne rien toucher et trouver mes entrées plutôt que de les créer. Dans certains cas, il faut rebrousser chemin.
Comment est-ce que tu as commencé ?
Pendant longtemps j’ai regardé des vidéos sur YouTube mais je n’avais pas les capacités physiques pour pratiquer. J’ai alors commencé à m’entraîner à la salle de sport et à courir pour atteindre un certain niveau. En 2019, j’ai passé quelques mois en Allemagne. J’avais enfin eu la condition physique nécessaire pour commencer. J’ai entendu parler d’une grande usine désaffectée et j’y suis allé avec une amie. J’ai alors fait plusieurs endroits : des usines, des hangars…
Qu’est-ce qui te plaît dans la pratique de l’urbex ?
Quand je suis dans un lieu, j’aime beaucoup imaginer comment il était avant. Je me renseigne sur son histoire. Pour les usines, c’est plus facile de trouver des articles de presse sur internet et de savoir ce qu’il s’est passé. Combien de personnes y ont travaillé, quels produits y étaient fabriqués et pourquoi ça a fermé. Parfois il y a des vieux documents et des objets en lien avec l’histoire du lieu. Des petites choses qui stimulent mon imagination. J’aime vraiment beaucoup imaginer le lieu 20 ans en arrière. C’est aussi pour cela que j’évite de visiter des lieux trop connus. Parce que je sais qu’il y aura plus aucune histoire car malheureusement ces spots sont souvent ravagés et dépouillés. Quand il ne reste plus que quatre murs, ça n’a plus aucun intérêt.
En Allemagne, il m’arrivait de me poser dans une salle et de lire un livre. J’aime cette sensation de solitude au milieu de nul part. Ce sont des endroits très silencieux, où la nature a plus ou moins repris ses droits. C’est souvent très grand, ça résonne. On entend beaucoup de choses. On analyse tout ce qui est autour de soi. Tous les sens sont en éveil… On perçoit les infiltrations d’eau, les bruits d’animaux, des oiseaux… Quelque chose craque. Tu te figes et écoutes. Est-ce qu’il y a quelqu’un ? L’adrénaline monte. Il ne faut pas se faire attraper ou se faire voir. Régulièrement il y a des choses qui sont cassées ou pillées et ça peut t’être mis sur le dos. C’est tout de même très stressant. En Allemagne, en passant un mur, je suis tombé devant la cabane occupée par des gardes. Ce sont des moments mémorables. Ton cœur bat très fort. Tu dois réfléchir et prendre des décisions. Il peut y avoir des conséquences…

Qu’est-ce que tu aimes le plus avec le château Pierre Chanal ?
C’est avant tout son emplacement. Un peu isolé, face à l’eau, la vue est magnifique ! Côté style, l’extérieur du château est vraiment superbe !
Comment est-ce que tu te prépares ?
J’ai une approche qui est un peu moins « randonnée » et plus « parkour » car j’apprécie ne rien casser et je dois souvent grimper pour m’infiltrer. Pour ça, il faut quand même une condition physique certaine. Je dois être en mesure d’affronter toutes les situations. J’ai plus de 10 h d’entraînement par semaine. Ma pratique du sport, c’est avant tout une hygiène de vie. Ensuite, je vois tout de suite les résultats quand je suis sur un lieu. Je me sens plus à l’aise, je peux m’extirper d’endroits ou grimper.
Enfin, qu’est-ce que tu aimerais faire, quels lieux ou types de lieux est-ce que tu aimerais voir ?
Récemment je me suis blessé à l’entraînement. Je suis en convalescence, il faut que je récupère. Avant j’avais des objectifs en phase avec ma condition physique. Mon niveau a régressé. Je prépare aussi un projet humanitaire donc je ne vais pas avoir le temps de récupérer la condition physique nécessaire pour grimper une grue par exemple.
A long terme, si j’arrive à retrouver un entraînement suffisant, pourquoi pas. Si j’y vais, c’est parce que je sais que je serais capable de réagir en cas de problème et que je ne serai jamais en limite physique. Il n’est pas question de prendre un risque mortel. On n’est pas là pour se tuer. On est là pour prendre du plaisir. Il faut toujours avoir un regard critique sur ce que l’on fait. Ne jamais agir sous l’impulsion ou prendre des risques inutiles. Tout doit être réfléchi.
Le Graal, ce serait de visiter Tchernobyl avant que tout soit remodelé pour les touristes. Est-ce que ce sera possible ? Je ne sais pas. En ce moment, je m’amuse beaucoup dans les catacombes de Paris ou dans des petits urbex à droite à gauche en Bretagne.




C’est très beau et tellement triste à la fois. Le papier-peint collé sur de la toile de jute clouée comme dans la chambre d’Esther 😊
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Merci Vincent pour ton reportage.
J’ai passé un très bon moment. Ton récit, tes photos et l’interview de ton ami m’ont plongée dans une belle aventure.
Des souvenirs me sont revenus en mémoire. Lors d’un week end en Anjou il y a fort longtemps, au siècle dernier 🤔.. c’est pour dire..😉 nous étions une bande de potes, 5 dans une 106, nous avions décidé de nous dégourdir les jambes, ce qui peut se comprendre…😉et nous étions tombés sur un chateau en ruine… C’était une impression folle, comme la decouverte d’un trésor! Sans le vouloir et sans le savoir nous avions fait de l’Urbex.
Terme peu connu à l’époque..
Tiens d’ailleurs quand est ce que ce terme est apparu ? Intéressant à savoir…
Merci pour cette belle realisation.
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Je suis content que cela t’ai rappelé de de bons souvenirs !
Apparemment la pratique se serait développée en France dans les années 1980. Le terme serait apparu une dizaine d’années après.
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Très belles photos Très beau texte La classe !!
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